Au sujet de la librairie des beaux-arts

Publié le 13 Juin 2011

mercredi 17 juin 2009

Le mois de mai 2009 nous a valu des frayeurs causées par la menace brutale du propriétaire de nous éjecter de la Librairie des Beaux-arts. Il s’en est suivi une mobilisation spontanée et massive de nos clients et amis fidèles qui se sont inquiétés du sort dévolu à ce lieu symbolique de la mémoire culturelle de la capitale. Nous nous acheminons actuellement vers l’épilogue suivant :NOUS FAISONS VALOIR NOS DROITS AU BAILQUI COURT JUSQU’EN MAI 2011ET DEMEURONS DANS LES LIEUX EN TOUTE LEGALITE Néanmoins nous en appelons à la vigilance de tous ceux pour qui ce lieu est constitutif de notre patrimoine culturel pour pérenniser définitivement cette enseigne. D’abord, quels enseignements peut-on tirer des péripéties que nous venons de vivre ? 1. Contrairement aux allégations mensongères contenues dans des tracts que distribue le propriétaire sur la voie publique, nous sommes convaincus qu’il n’est pas en mesure d’offrir une quelconque garantie et tôt ou tard la librairie sera bradée. Les clients, les éditeurs et les auteurs se souviennent de l’état de déliquescence dans lequel elle a été abandonnée après l’assassinat de Vincent Grau. 2. Le règne de l’argent-roi, le droit régalien des propriétaires doivent-il toujours prévaloir sur les intérêts des professionnels et gérants des fonds de commerce injustement spoliés du fruit de leur travail, de leurs compétences et de leurs investissements ? Les récentes modifications du code du commerce ont favorisé les spéculateurs et les trabendistes en tout genre pour qui seuls comptent le gain facile et le rapport financier immédiat, au détriment des métiers et des savoir-faire locaux qui se meurent en Algérie. L’intérêt général ne doit-il pas avoir sa part dans la gestion des espaces voués à la satisfaction des besoins des citoyens, et parmi eux les espaces culturels ? 3. Puis immédiatement après une série de questions nous assaille : • Comment a été privatisée cette librairie et à son instar, comment le processus d’appropriation des « biens vacants », des biens « beyliks », et biens « houkouma » a conduit à travers une spéculation effrénée à les dévoyer de leur vocation initiale ? Comment les grands manitous de la finance nationale et internationale (Europe, USA, Emirats etc…) se sont appropriés, parfois via des prête-noms, les terres de l’autogestion, les immeubles et propriétés prestigieuses des colons, les cimenteries Lafarge, le complexe sidérurgique d’Annaba, les ports et aéroports, les parcs de « Grands Vents » etc. ? • De quelle légitimité peuvent se couvrir des actes de propriété concoctés par des autorités administratives opaques, surtout durant la période du règne autoritaire du parti unique ou lors de cette terrible décennie de terrorisme qui n’a pas fait que des victimes si l’on en croit les échos étouffés des tribunaux ou de la presse qui dévoile les méfaits désastreux de la corruption, de la rapine et du gaspillage du bien public ? • A qui donc appartient ce pays, ses terroirs, ses biens meubles et immeubles, son sol et son sous-sol ? Aux gouvernants toujours cooptés et presque jamais élus ? Aux élus, hélas presque toujours mal élus ? Au peuple prétendument souverain mais jamais consulté sur les cadeaux royaux que s’octroient les hommes du sérail ? Aux descendants de chouhada et moudjahidine dont on a abusivement exploité les symboles pour constituer la prétendue « famille révolutionnaire » en caste de possédants à vie, pour eux-mêmes et leur descendance jusqu’à la énième génération, reniant le serment de ceux qui ont combattu réellement pour que l’Algérie et tous les algériens recouvrent la liberté, la démocratie et la justice sociale selon les termes de la plateforme de la Soummam. • Quel sens historique et juridique peut-on donner dans l’Algérie des années 2000 aux notions de patrimoine, de propriété, de privatisation, de biens sociaux, culturels, publics ou privés ? Quelle responsabilité ont respectivement le citoyen et le commis de l’Etat dans le respect et l’observance des règles élémentaires de l’honnêteté, de la droiture, du devoir, du sens de l’Etat et de la préservation du bien public ? • Devrons-nous éternellement nous taire devant les abus de biens sociaux flagrants, les spoliations honteuses, les enrichissements sans cause et la manifestation ostentatoire de biens mal acquis ? • Quel avenir réservons-nous à nos enfants du 3ème millénaire ? Sujets ou citoyens ? Super citoyens ou futurs indigènes ? Comment peut-on encore s’étonner que cette jeunesse démunie et humiliée par les « nouveaux nantis » soit poussée au désespoir, sommée de choisir entre le destin suicidaire de « Harraga » et celui de kamikaze des maquis islamistes ? 4. Certes, toutes ces questions semblent nous éloigner du sort de notre librairie, mais ne sont-elles pas les véritables causes de la précarité de nos métiers, de la marginalisation des activités sociales et culturelles utiles qui ne drainent pas les milliards dont se gaussent les possédants et propriétaires qui imposent les règles de l’argent-roi. La généralisation de l’import-import et de l’affairisme sans foi ni loi, a conduit au bétonnage des terres agricoles les plus riches et la mise en jachère de celles qui auraient pu devenir productives, les usines fantômes de l’ère utopique de l’industrialisation industrialisante ont été remplacées par les petites minoteries, les ateliers de mise en bouteille ou en pot de produits de base importés à coup de milliards de dollars. La population laborieuse réduite au désœuvrement et au chômage admire le travail de fourmi de ces milliers de chinois qui bâtissent les routes, les barrages et les logements qu’on leur distribue parcimonieusement selon les sacro saintes règles du népotisme et de la tchipa. 5. L’impuissance des citoyens est consécutive au bâillonnement des organisations sociales et culturelles. L’opinion publique qui s’exprime par le biais de certains syndicats autonomes et de la presse écrite manifeste toutefois une certaine vitalité et elle peut influer sur le cours des évènements. Nous venons de vivre le cas concret d’un sauvetage in extremis de La Librairie des Beaux-arts dont le destin aurait basculé sans le formidable élan de solidarité d’un large public informé par la presse et Internet. Notre « affaire privée » entre un bailleur sans « protection » et un propriétaire déterminé à faire de son bien « ce que bon lui semble ! », est rendue publique par un simple communiqué mettant en garde contre un danger de disparition et exprimant « un amer sentiment d’inachevé » est largement médiatisée dans les grands quotidiens nationaux et de nombreux sites internet. Cette mobilisation nous a encouragés à refuser la fatalité, à faire valoir tous nos droits et sauvegarder la vocation et la pérennité de ce lieu de mémoire symbolique de la vie culturelle d’Alger. Ceci nous vaut un sursis de 2 ans correspondant au bail en cours d’exécution. Mais à l’issue de cette échéance, la librairie sera à nouveau en danger et menacée tôt ou tard dans sa vocation culturelle par les lois favorables aux propriétaires et au règne de l’argent. Comment faire face à nouveau pour assurer définitivement l’avenir de la Librairie des Beaux-arts ? 6. Nous en appelons à la réflexion de tous nos fidèles clients, de tous les riverains, de tous les citoyens jaloux de conserver à leur ville les espaces culturels et sociaux indispensables dans la capitale, pour trouver des solutions dans le respect des droits de chacun, y compris des intérêts bien compris des propriétaires. Pour mener cette action nous préconisons la constitution d’une association ou fondation d’intérêt public, en hommage à Vincent Grau qui y a sacrifié sa vie, et qui sera domiciliée au siège de la librairie.Alger, le 04/06/2009Boussad OUADITél. +21321634014 -E-mail : Boussad@wanadoo

Rédigé par BOUSSAD

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