INNA-D MOULOUD MAMMERI

" ...  Quand j'écrirai une œuvre de quelque ordre quelle soit, c'est qu'elle me semblera "appelée".  Ceux qui, pour quitter la scène, attendent toujours d'avoir récité la dernière réplique à mon avis se trompent : il n'y a jamais de dernière réplique - ou alors chaque réplique est la dernière, on peut arrêter la noria à peu près à n'importe quel godet, le bal à n'importe quelle figure de la danse.

Quand je regarde en arrière, je n'ai nul regret, je n'aurais pas voulu vivre autrement... De toute façon, un fantasme  n'est jamais que cela. Je ne me dis pas : j'aurais voulu être un citoyen d'Athènes au temps de Périclès, ni un citoyen de Grenade sous les Abencérages, ni un bourgeois de la Vienne des valses. Je suis né dans un canton écarté de haute montagne, d'une vieille race qui depuis des millénaires n'a pas cessé d'être là, avec les uns, avec les autres... qui, sous le soleil ou la neige, à travers les sables garamantes ou les vieilles cités du Tell, a déroulé sa saga, ses épreuves et ses fastes, qui a contribué dans l'histoire de diverses façons à rendre plus humaine la vie des hommes.

Les tenants d'un chauvinisme souffreteux peuvent aller déplorant la trop grande ouverture de l'éventail : Hannibal a conçu sa stratégie en punique ; c'est en latin qu'Augustin a dit la cité de Dieu, en arabe qu'lbn-Khaldoun a exposé les lois des révolutions des hommes.  Personnellement, il me plait de constater dès les débuts de l'histoire cette ample faculté d'accueil.  Car il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu'ils stérilisent c'est sûr.

C'est par-là que je voudrais finir.  Le nombre de jours qu'il me reste à vivre, Dieu seul les sait.  Mais, quel que soit le point de la course où le terme m'atteindra, je partirai avec la certitude chevillée que, quels que soient les obstacles que l'histoire lui apportera, c'est dans le sens de sa libération que mon peuple (et à travers lui les autres) ira.  L'ignorance, les préjugés, l'inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l'on distinguera la vérité de ses faux-semblants. Tout le reste est littérature."

 

In « Entretien  Tahar Djaout - Mouloud Mammeri, La Cité du soleil. »

EDITIONS LAPHOMIC  ALGER - AVRIL 1987

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