L’art de la politique et les techniques du management. Macron PDG de l'Entreprise France ?

Publié le 3 Octobre 2017

 

  • Si la politique consiste à gouverner les sociétés humaines, elle ne saurait se séparer de la morale. Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n'entendront jamais rien à aucune des deux..J.J. Rousseau 
  • Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique. Charles Péguy

 

 Le Macronisme est une nouvelle utopie.

Elle consiste à faire croire qu'on peut « manager la société » à la manière d’une entreprise, selon des préceptes, des techniques et des styles dont on sait la diversité  des modes. Le mode Jupitérien, directif est dévolu à Macron lui-même, les autres modes : l’informatif, le participatif ou le délégatif étant tour à tour mis en œuvre par tel ou tel collaborateur ou ministre au gré des exigences de la communication qui tient lieu de ligne politique dans le mouvement En Marche !

 

Les manuels de Management enseignent qu'en entreprise le manager se doit de :

2. • tracer une direction ou indiquer la destination à ses collaborateurs,

3. • savoir les accompagner dans l’élaboration des plans d’actions requis pour atteindre les objectifs

4. • mobiliser les ressources qui rendent la réussite des plans d’actions certaine et plus facile,

5. • élever le niveau d’autonomie de ses collaborateurs..

 

Néanmoins, ces manuels sont souvent peu diserts sur les finalités de ces actions : le taux de satisfaction des actionnaires, la répartition des dividendes, le développement, la modification ou bien la mise à mort de tout ou partie des actifs de l’entreprise, selon le droit sacré à la propriété privée et hors de l’intrusion importune des collaborateurs.

 

Mais comment le Président de la République du pays qui a guillotiné le roi pour instaurer la souveraineté populaire des « citoyens-libres-égaux-fraternels », peut-il gérer 60 millions de « collaborateurs », leur assigner « des objectifs à atteindre », élever leur autonomie et mobiliser leurs ressources ?

 

Le PDG de l’Entreprise France [1] au service de ses actionnaires ?

 

Actionnaire ce peuple-souverain empêtré dans le chômage, la régression sociale, déchiré par les inégalités et le repli identitaire mortifère ? Peut-être, mais tout PDG sait le poids de la finance et des banques dans la conduite de l’entreprise et M. Macron fut associé-gérant de la banque Rothschild, surnommé Mozart de la finance pour ses talents exceptionnels assurément.

 

Qui peut nier que la finance internationale tient les États à la gorge après les avoir drogués à l’endettement sur les marchés bancaires depuis 30 ans ?  Les crises vécues par les PIGS ces dernières années, particulièrement la Grèce, l’Espagne, le Portugal ont largement illustré ce mécanisme meurtrier : les logiques financières accablent les pauvres et les classes moyennes pour satisfaire « le service de la dette », dans une spirale sans fin qui se conclura inévitablement par des violences sociales et/ou politiques.

 

A ce point de la comparaison l’Entreprise et l’État-Nation peut-on confondre le bien public et l’intérêt privé,  gouverner un pays et gérer une entreprise ?

 

Comment se fait cette confusion, ce glissement de « l’Entreprise » vers l’État, la société, la nation?

 

Notons tout d’abord que de nos jours une entreprise n’est rien sans sa banque. La financiarisation a tué l’autonomie, la diversité, le goût du risque et de l’aventure de l’entrepreneur de jadis. L’ingénierie financière tout comme le génie génétique, font peu de cas de la créativité, du génie humain et de la richesse que constitue la diversité du patrimoine de la nature. Rentabiliser, augmenter la productivité, spéculer sur le vivant (humain, animal et végétal), voilà des mots/maux qui ont appauvri notre la planète.

 

Le capital financier a fini de  digérer le patrimoine foncier, immobilier et industriel lors des révolutions agraire, industrielle, urbaine et numérique des deux derniers siècles. Progressivement, il s’en est pris aux États, à leurs armées, à leurs ressources vitales : la nourriture, la santé, l’éducation des populations asservies à des modes de consommation ruineux pour la nature, l’air, l’eau et l’intelligence humaine. Et de fait, les grandes sociétés multinationales -banques-agro-industries et services étroitement imbriquées- détiennent les prérogatives naguère dévolues au pouvoir politique des États.  

 

Le mécanisme de la dette détenue par les banques privées des seuls états riches d’Europe et des USA, pèse lourdement sur tous les pays, sur les cinq continents. Cette épée de Damoclès donne des pouvoirs démesurés à cette oligarchie que le dictionnaire Le Robert définit comme : un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée.

 

En 2008 lorsque la banque Lehman Brothers s’effondra, menaçant tout le système financier international, les dirigeants des puissances occidentales et asiatiques ont momentanément circonscrit l’incendie en jouant sur la planche à billet, les taux d’intérêt, les cours mondiaux de l’énergie et des matières premières et les prélèvements sociaux du travail vers le capital (incongruité innovante des temps modernes). L’émoi passé, les banques ont repris les mêmes pratiques de spéculation et de financiarisation à outrance jusqu’au prochain Krach …

Nixon, Reagan, Bush, Thatcher, classiquement de droite républicaine, mais aussi les pseudo socialistes Schroeder, Blair et Hollande ont concocté des modèles économiques, sociaux et culturels aliénant tout au profit du privé, de l’entreprise, du capital, de l’individualisme, de la force et de l’intervention militaire. Ce modèle proclamé comme universel par les chiens de garde médiatiques s’est construit au détriment des conquêtes sociales et démocratiques, de l’intérêt général, après les deux guerres mondiales, la décolonisation et le formidable boom des sciences et des techniques, trop souvent dévoyées malheureusement.

 

De plus, cette évolution a été favorisée par la déconfiture du bloc des pays dits socialistes. La cécité politique de Staline « d’édifier le socialisme dans un seul pays », contre les thèses de Lénine ou Trotsky et les crimes commis au nom du socialisme ont découragé les partisans de sociétés  fondées sur la prééminence du public sur le privé, de l’intérêt général sur le particulier, de la générosité sur l’égoïsme, et ceci à l’échelle de la planète entière devenue un petit village interdépendant que Karl Marx au XIXème siècle appelait de ses vœux : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ».

 

Depuis 1989 le système « (ultra)-libéral, occidental, démocratique » a le champ libre sur les plans économiques, idéologiques, militaires pour détricoter les conquêtes sociales, asservir les appareils d’État, recoloniser les territoires et les couches sociales qui pouvaient lui résister, même au prix de guerres criminelles et injustes qui ont dévasté le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie.

 

Il faut revenir au 19ème siècle, au plus fort de la révolution industrielle (Germinal), des conquêtes coloniales (en 1885 le Congrès de Berlin dépeça l’Afrique), des grandes Expo universelles (agrémentées par les exotiques zoos humains) pour retrouver un tel rapport de forces qui permet à une toute petite minorité d’assoir son pouvoir sur le monde entier.

Mais à cette phase de transition, des monarchies aux républiques, des religions vers la laïcité, de l’analphabétisme vers la scolarisation, le modèle de management des sociétés s’accommodait fort bien des héritages culturels de l’époque : l’autorité matinée de charité chrétienne suffisait à imposer un ordre social et moral favorable aux bourgeoisies de tout acabit, la protestante étant réputée plus vertueuse que la catholique, dit-on, comme si les Bush valaient mieux que les Kennedy.

Dans l’usine, à l’école, à la mairie ou au sommet de l’État, qui pouvait mettre en cause le système pyramidal de commandement social qui conduisait « la jeunesse, chair à canon » à se suicider « la fleur au fusil » dans des guerres de destruction massive tout à fait utiles aux lobbys militaro-industriels ? La paix ou l’armistice signée, ceux-ci pouvaient engager de nouveaux cycles d’accumulation par la reconstitution d’armes de plus en plus meurtrières et des appels d’offres publics juteux que se disputaient des affairistes et politiciens joliment qualifiés de « copains et de coquins »[2] par l’un d’entre eux ?

 

Au 21ème siècle, 60 à 80% des jeunes accomplissent une scolarité complète et des millions d’entre eux encombrent les bancs des universités sans pouvoir d’ailleurs mettre en œuvre cet investissement dans leur sort individuel ou une utilité sociale quelconque. A l’autre bout de la pyramide démographique, les vieux, nombreux, coûteux à la société du fait de l’allongement de la durée de vie, instruits par leurs déconvenues sociales ou idéologiques du fait des trahisons de leurs élites, de droite comme de gauche, tanguent entre d’une part, le repli mortel sur les valeurs qu’ils ont biberonnées : le nationalisme et le racisme colonial entretenus par des TV abêtissantes et des supermarchés aliénants et d’autre part le sens de leur responsabilités familiales et sociales par la prise en charge du logement, des frais de scolarité, de voyage et de loisirs de leurs petits-enfants.

Il n’est pas anodin de constater que dans des mouvements tels que la France Insoumise, cette chaine de solidarité interclasse, d’âge et de niveau social, permet d’entrevoir un futur moins sombre que ne le prédisent les partisans de l’apocalyptique théorie du remplacement du peuplement européen par des métèques originaires d'Afrique noire et du Maghreb.

 

Néanmoins malgré leur niveau d’instruction, les nouvelles générations ont été formatées par des institutions depuis longtemps gangrenées par les « managers » qui n’ont de souci que de rentabiliser tout : l’école, l’hôpital, les transports, l’armée, etc… Des jeunes sont convaincus  qu'il faut savoir se vendre, se tuer au travail,  savoir éliminer ses pairs pour vaincre, pour grimper dans la hiérarchie.  D’autres sont lobotomisés par les téléréalités, le star-système, les réseaux pseudo-sociaux au point de n’avoir plus d’autres ressources que les drogues douces pour échapper à la réalité.

 

L’individualisme forcené, dans cette guerre de tous contre tous, conduit à l’élaboration d’une pensée mythique, de pratiques mystiques et parfois même ésotériques qui incite les cerveaux les plus affinés, les cadres sup’ les plus performants à chercher refuge dans le développement personnel, les sports extrêmes, le Bouddhisme, pour échapper au burn-out ou au suicide. N’empêche, leurs moments de lucidité dans de longues journées de travail qui font fi fièrement de la semaine de 35h ringarde à leurs yeux, sont entièrement voués au management, à toutes ses ficelles, à tous les étages et dans toutes les catégories socio-professionnelles qui composent l’entreprise ou l’institution dans laquelle ils exercent. Les collaborateurs et les assistant.e.s se gargarisent de benchmarking, de capital intellectuel, de RH, de compétence de cœur de métier, de créativité, d’innovation, de gouvernance, de process, stratégie, vision, les valeurs qui fournissent des lignes directrices pour le personnel, sur ce qui est bien ou souhaitable et ce qui ne l’est pas, etc…

Gilles Deleuze en philosophe, s’étonnait déjà : On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde. Frédéric Lordon ajoute : Quand la fusion organique du capital et de l’État a atteint le stade Macron, c’est une littérature politique. [O.B.1] (Monde Diplomatique 2017)

 

Lorsque le principe de réalité prévaudra à nouveau, le réveil sera brutal car Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique (Charles Péguy). La mystique de l’Entreprise France  dépérira à mesure qu'ont comprendra qu'un État n’est pas une entreprise.
 

Que ce soit sous la forme de :

  1. Gouvernement de régime politique et social : l’État de nature  supposé être celui de l'homme avant toute vie sociale (dans les anciennes théories de Hobbes, J.-J. Rousseau), ou bien l’État démocratique,  monarchique, tyrannique, populaire ou même État théocratique  
  2. Autorité souveraine s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminés. État, nation, société et pays, un être énorme, terrible, débile, cyclope d'une puissance et d'une maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du Droit, selon Paul Valéry.
  3. Ensemble des services généraux d'une nation, par opposition aux pouvoirs et aux services locaux et intérêts privés.

l’État, particulièrement sous sa forme républicaine ( res publica « chose publique »)  appartient à tous ses membres, à égalité de droits et de devoirs.

Peut-on imaginer une entreprise propriété des salariés et des actionnaires à égalité de droits et de devoirs dans la propriété et le management ? Cela s’appellerait alors l’autogestion dans l’entreprise !

Et nous voilà dans la société autogestionnaire,  la société sans classe, avec la propriété collective des moyens de production, l’accès gratuit aux biens de consommation, la fin de l'exploitation par le travail, donc la société communiste et le dépérissement définitif de l’État.

Le rêve devient cauchemar pour En Marche qui mourrait tranquillement de sa propre politique, car répétons :  le mouvement qui vit de sa mystique meurt de sa politique.

Quelle bonne nouvelle !

Boussad OUADI, Octobre 2017.


[1]  Au royaume de ressources humaines. La 34ème édition du congrès HR, les 11-12 octobre 2017, au Pré Catelan, Paris 16ème    En exclusivité !  Le 12 octobre matin Muriel Pénicaud, Ministre du Travail, sur la Réforme du Code du Travail.  La DRH de l'entreprise France face à vous !

Négociations au niveau de l’entreprise, articulation avec les accords de branche, fusion des IRP, modalités du licenciement pour motif économique, développement du télétravail, montant des indemnités prud’homales… la Ministre du Travail décryptera les enjeux des principales mesures de la réforme du code du travail et les étapes-clés de leur mise en œuvre

 

[2] Formule de Michel Poniatowski, ministre de Giscard d’Estaing à l’endroit de ses alliés gaullistes empêtrés dans des scandales et des affaires de corruption durant les années 1970.

Rédigé par Boussad OUADI

Publié dans #LA LUTTE DES CLASSES CONTINUE

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